jeudi 27 février 2014

L'aventure du tricolor 3

Après avoir vainement cherché, partout dans le monde des grues qui aient la force de soulever un navire de 55 000 tonnes et son chargement, et surtout, au vu des dégâts supplémentaires occasionnés par les deux collisions survenues sur l'épave, il a été décidé de retirer le Tricolore par morceaux.

Les représentants de la compagnie maritime Wilh.Wilhelmsen et la société de sauvetage néerlandaise Smit Salvage BV, ont signé le 11 avril 2003, un accord pour enlever l'épave du navire.

Tout espoir de récupérer le chargement étant perdu, il sera donc découpé en plusieurs tranches, à l'aide d'un fil diamanté, et les morceaux évacués sur une barge à destination de Seebrugges. Les opérations de préparation ont commencé le 22 avril 2003 et fin juin, l'expertise de la coque était terminée et la zone située autour de l'épave cartographiée. De juillet 2003 à juillet 2004, une année a été nécessaire pour venir à bout de l'opération complète y compris le ramassage de tous les débris éparpillés au fond par le découpage. Il a également fallu tenir compte des hydrocarbures présents dans des endroits inaccessibles du navire, le reste ayant déjà été pompé dans les jours qui ont suivi le naufrage. Un dispositif anti-pollution a été mis en place, chacune des 2862 voitures transportées contenant 5 litres d'essence, en plus du carburant et des lubrifiants prévu pour le navire lui-même, c'est à dire  1990 tonnes de fuel, 200 mètres cubes de gas-oil et 25 tonnes d'huile.
Les travaux de découpage proprement dit ont débuté le 22 juillet 2003, malgré une météo particulièrement défavorable. Le chantier était assez impressionnant.




Je suis personnellement défavorable au gigantisme. On sait construire de plus en plus gros, mais on ne sait pas gérer la suite. On ne pense pas à la fin des choses, ni à une possible défaillance en cours d'utilisation.
Je crois l'avoir déjà dit quelque part au sujet de l'énormissime navire de croisière Oasis of the Seas avec ses 362 m de longueur et 66m de large, ses 225 000 tonnes et sa capacité de 8000 personnes. 4 heures d'embarquement dans le calme à quai quand tout va bien, alors combien pour en débarquer, quand tout va mal, que le bateau coule et que tout le monde craint le pire, c'est à dire le chavirage propre à tous les navires modernes ?

L'aventure du Tricolor 2

Le TRICOLOR n'est pas n'importe quel navire. Il fait 190 mètres de long et 32 mètres de large. A la suite de sa collision avec le KARIBA, il a coulé le 14/12/2002 à l'un des endroits où toute la navigation destinée à l'Europe transite, la Manche, dont la profondeur à marée basse à cet endroit n'est que de 27 mètres. Couché, il est juste sous la surface à marée haute et dépasse de 5 mètres à marée basse.
Photo Préfecture Maritime de la Manche et de la Mer du Nord
La zone comporte de nombreuses épaves et des dizaines de milliers d'explosifs hérités des guerres passées. Une autre caractéristique majeure est l'extrême importance des courants qui sont parmi les plus forts du monde. Dans le Pas-de-Calais, les courants atteignent 4,5 nœuds ce qui rend dérisoire la pose de barrage anti-pollution. Il faut donc absolument empêcher que celle-ci se produise.

Photo VG.no
Pour signaler le navire renversé, une bouée lumineuse à écho radar est installée et des messages diffusés toutes les heures donnent la position exacte du danger. La gendarmerie maritime place le patrouilleur GERANIUM au nord de l'épave, le côté le plus fréquenté. Lançant des appels à chaque navire en vue. Sa présence empêchera de nombreuses autres collisions.
Malgré ça, dans la nuit du 15 au 16 décembre. le NICOLA, navire néerlandais qui retourne à Rotterdam s'échoue sur la coque du TRICOLOR. Il faudra deux remorqueurs et plusieurs heures pour le sortir de là.

Photo MUMM.ac.be
Le dispositif est alors renforcé sous la forme de cinq balises supplémentaires, d'un patrouilleur de la Marine Nationale française, le FLAMANT auquel s'ajoute un patrouilleur britannique et un navire assistance envoyé par l'armateur Wallenius Wilhelmsen. Les messages sont à présent diffusés toutes les demi-heures et le CROSS de Gris-Nez contacte un à un tous les navires empruntant la voie pour les prévenir de la situation. De la même façon, les autorités belges, britanniques et françaises préviennent individuellement chaque navire au départ des ports de leurs pays respectifs. En outre, au départ de Seebrugges, le pilote signale la position de l'épave à chaque appareillage.

Pourtant, le premier janvier 2003, aux alentours de 20 heures, le pétrolier turc VICKY, venant d'Antwerpen à destination des Etats-Unis percute l'épave par le travers. Il venait pourtant d'être contacté par radio, mais n'a pas dévié sa route. On voit, sur les photos, la trace qu'il a laissée.

Alors ? Comment imaginer que cet abordage ait pu avoir lieu ? Comment ne pas voir six balises lumineuses? Comment ne pas repérer sur un écran leur écho-radar et ceux des quatre navires qui environnent l'épave ?

Le commandant du VICKY semblait tomber des nues. Quoi ? Une épave ? Aux remarques concernant les messages radio, il ne peut pas dire qui a répondu, ni qui a reçu les messages écrits, ni qui était au  radar.
Aucune des personnes de la passerelle n'a déclaré être au courant de quoi que ce soit concernant cette épave alors que de Cherbourg à Dunkerque ce sont quatre messages qui ont été envoyés vers le pétrolier pendant les deux heures avant l'accident. A les entendre, ils n'ont rien vu, rien entendu.

Mark Clark, un porte-parole des garde-côtes du Royaume-Uni, a déclaré à la BBC qu'il était impossible de croire que l'équipage du VICKY n'avait pas reçu les avertissements. Il y a suffisamment de balises émettant des signaux pour qu'on puisse dire qu'il est clair qu'ils n'ont pas été à l'écoute de la radio.

Une anecdote en particulier, qui ne concerne pas le VICKY, montre que parfois, on compte un peu trop sur la technique pour agir à sa place et qu'on laisse les navires naviguer seuls :

Le 4 janvier 2003, le secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer en France, M. Dominique Bussereau, était avec une équipe de télévision de la chaîne publique France 3 dans un hélicoptère au-dessus du TRICOLOR. Sur le chemin du retour, le CROSS Gris-Nez a dérouté l'aéronef vers un navire, au large du Pas-de-Calais, lequel ne répondait plus aux messages radios depuis une heure et demie. Lors du survol du bateau, les passagers de l'hélicoptère ont pu constater que la passerelle était vide !

Après quelques explications, le commandant et l'officier de quart ont été mis à pied dès le débarquement par l'armateur du navire.
Jamais une machine, si perfectionnée qu'elle soit ne remplacera un homme, que ce soit dans la marine ou ailleurs.



mercredi 26 février 2014

L'aventure du Tricolor 1

Le 14 décembre 2002 à 2h25 du matin, le navire norvégien de transport de voitures TRICOLOR est
éperonné à l'entrée nord du détroit de Douvres, entre la Grande-Bretagne et France, par le porte-conteneurs KARIBA, affrété par un armateur français, Delmas, mais enregistré aux Bahamas. La visibilité était limitée, mais la mer était belle, et heureusement, car le CROSS de Gris-Nez, intervenu immédiatement a pu secourir l'équipage au complet, soit 24 personnes. Le capitaine et deux membres d'équipage ont été récupérés sur la coque où ils ont réussi à se hisser au moment ou le navire à chaviré.
Le navire était chargé de 2862 voitures et de 77 conteneurs RoRo contenant notamment des engins de chantier quand il a coulé, 30 minutes après la collision. Il venait de Seebrugge pour se rendre à Southampton et de là aux Etats-Unis.
En réalité, trois navire étaient impliqués.
Le porte conteneurs KARIBA venait d'Antwerpen et se rendait au Havre. Les deux navires circulaient dans le même sens dans l'une des zones de navigation au monde les plus fréquentées et donc dangereuses.
L'allure était rapide et le TRICOLOR a rattrapé le KARIBA qui, voyant sur son radar un autre navire arrivant droit devant et ne s'écartant pas comme le veulent les règles maritimes, s'est alors écarté de sa route brusquement, percutant le Tricolor qui, malgré une manœuvre d'évitement sur tribord a été touché et a immédiatement coulé, Une brèche de plusieurs dizaines de mètres sous la ligne de flottaison dans son flanc bâbord ayant été découpée par le bulbe d'étrave du KARIBA.
Ce troisième navire ne s'est pas arrêté et a été identifié par les radars du port de Dunkerque. Il s'agissait du vraquier CLARY, enregistré à Singapour, qui circulait donc en sens inverse.
Il est a noter que bien qu'ayant été avertis, l'équipe de quart du CLARY a ignoré les appels de détresse des deux autres navires et a effacé sa route 9 minutes plus tard, ce qui sera retenu comme une preuve de sa connaissance de l'accident.

En première instance, le juge Harold Bear, président du tribunal du district du Sud de New York, a estimé que le KARIBA était le seul responsable de l'accident.
Cette décision est intervenue à l'issue d'un procès intenté par les propriétaires du KARIBA contre le TRICOLOR et le vraquier CLARY, battant pavillon de Singapour et soupçonné avoir causé l'abordage suite à une fausse manoeuvre. L'action en justice visait à tenter de limiter la responsabilité du Kariba dans la perte des 2.862 voitures transportées par le TRICOLOR et détruites dans le naufrage.

Kariba après l'abordage 
Les propriétaires du KARIBA ayant fait appel de ce jugement, la culpabilité du KARIBA a été revue à la baisse à 63%, celle du CLARY à 20% et celle du TRICOLOR à 17%.
Au cours de ce procès, on a appris que le capitaine du Kariba ne comprenait pas comment utiliser un nouveau type de radar installé pour le suivi des autres navires qui calcule leur cap et la vitesse. Il s'est avéré que le manuel d'instructions de l'appareil n'était même pas à bord du KARIBA. Je rappelle que l'accident s'est produit dans le brouillard, on naviguait au radar.
Il apparaît que le capitaine du KARIBA, dont la vitesse était de 16 nœuds et ne l'a pas réduite, a sous-estimé la distance réelle entre son navire et le CLARY et a précipité la manœuvre alors qu'en supposant que le TRICOLOR ait maintenu sa vitesse de 17,9 nœuds, il aurait largement dégagé la route au moment où le KARIBA avait effectivement besoin de virer à tribord.
Il a été reproché au capitaine du TRICOLOR de n'avoir pas anticipé le refus de priorité du CLARY et de n'avoir pas pris des mesures immédiates au cas où le CLARY ne céderait pas le passage, ce qui s'est produit.
Il a été reproché au capitaine du CLARY de n'avoir pas maintenu un nombre suffisant d'officier sur la passerelle, de ne pas avoir utilisé la radio pour communiquer avec le KARIBA, et d'avoir falsifié le journal de bord. Il a en outre été condamné à la responsabilité de 20% sur le coût du naufrage, qui s'est élevé à 170 millions d'euros.

Je trouve intéressant le partage de la culpabilité entre le KARIBA et le CLARY, par contre, j'émets un doute sur le raisonnement du tribunal New-Yorkais lorsqu'il parle d'anticiper les faits. On se place dans la supposition. Si ma tante en avait...

dimanche 16 février 2014

Mafalda, rumeur de naufrage

Le Figaro, périodique français, édition du 12 janvier 1920 consacre une rubrique aux naufrages.

Sur quatre navires signalés en difficulté ou perdus, deux ont continué à naviguer.

La rumeur racontait les jours précédents que le paquebot Principessa Mafalda, en route de Buenos Aires à Dakar aurait sauté sur une mine flottante de la première guerre mondiale et tout le monde entretenait un pessimisme tragique au sujet des passagers, puisque l'on racontait à qui voulait l'entendre qu'il n'y aurait pas eu de survivants.

Le Principessa Mafalda, qui fera naufrage en 1927 au large de Bahia et le Solly, arrivé à bon port quelques jours plus tard après avoir sans doute traversé une tempête similaire à celle qui a été fatale à l'Afrique, puisque celui-ci, privé de propulsion, ayant abordé le bateau-feu du plateau de Rochebonne au large de La Rochelle, a coulé, entrainant la mort de plusieurs centaines de personnes.

Le mauvais temps, qui semblait général sur l'Europe en ce début janvier, a également causé le naufrage du cargo Treveal, ex-War Jonquil, de la Hain Steamship Company, sur la côte du Dorset au lieu appelé Saint Aldhelm's Head.
Le navire était échoué tout près de la côte et sur trois chaloupes mises à l'eau, trois se sont retournées. Le bateau de sauvetage venu de Weymouth n'a jamais pu s'approcher du cargo tant les vagues étaient dangereuses.
Trente-cinq membres de l'équipage se sont noyés au cours de ce naufrage.


Le vapeur norvégien Solly, que les journaux parisiens avaient imprudemment déclaré possiblement perdu, ce que souligne le rédacteur du Littoral, journal littéraire, politique et mondain de Cannes et de l'arrondissement de Grasse, qui publie la bonne nouvelle six jours plus tard alors que le Solly entre dans le port de Cannes après plus de 2500 miles de route depuis Newcastle soit près de 4600 km par gros temps.

lundi 10 février 2014

Principessa Mafalda- un axe et des portes

SS Principessa Mafalda. Navire italien.

Tiens ? Lloyd Italiano Genova ?

Naufrage le 25 octobre 1927.
Causes : Rupture de l'axe d'hélice babord et portes étanches qui ne fermaient pas.

Lors d'une escale pour ravitailler au Cap Vert, le capitaine, Simone Guli, ayant été informé par les machinistes d'une avarie sérieuse sur la machine babord, en réfère le 19 octobre au siège de la compagnie par télégraphe. Les ordres sont de réparer avec les moyens du bord et d'aller à Rio pour y attendre les instructions.

Du  Cap Vert à Rio, il y a environ 2 700 milles, soit à peu près 5 000 km.
Les ordres sont donc de repartir avec une avarie connue pour un voyage d'une semaine sans escale à travers l'Océan Atlantique. Le navire repart donc.

Il y aura plusieurs arrêts pour réparer, parfois de plusieurs heures, mais le navire continue sa route.
Le 23 octobre, le navire donne une légère bande sur babord, mais continue de filer à toute vapeur vers l'Amérique du Sud.

Le 25 octobre, à 80 milles au large de Bahia, par trois fois, le navire est fortement secoué. L'arbre qui porte l'hélice babord vient de casser net. Le navire est privé de l'un de ses deux moyens de propulsion. Mais, pire encore, l'axe, qui n'est plus relié à la machine est entrainé par son mouvement de rotation à l'extérieur, laissant un énorme trou béant par lequel s'engouffrent des dizaines de mètres cubes d'eau par seconde.

L'équipage sait ce qu'il a à faire. Il stoppe la machine babord et déclenche la fermeture des portes étanches.
Seulement voilà, si certaines de ces portes se ferment, d'autres non. L'eau envahit donc le fond du navire et les pompes, toutes mises en route, ne suffisent pas. On n'est pas loin de l'équateur et la nuit tombe d'un coup, à 18 h, c'est le moment où les chaudières explosent au contact de l'eau froide. Les génératrices cessent de fonctionner et le navire se trouve plongé dans l'obscurité. En quelques secondes, c'est la panique parmi les 971 passagers, qui se ruent sur les canots de sauvetage sans attendre que l'équipage les mette à l'eau. Certains passagers étaient armés et ont menacé les marins et d'autres passagers. Dans la précipitation et l'inexpérience de la manœuvre, les passagers qui prennent les canots d'assaut en perdent plusieurs, dont deux avec des passagers dedans. Des gens sautent à l'eau, sans savoir où ils vont tomber, on ne voit rien.

Le cargo Empire Star qui s'est dérouté arrive sur les lieux et à l'aide d'un phare, repère des naufragés dans l'eau et les récupère à l'aide de ses chaloupes. Le cargo Athena arrive également à la rescousse, ainsi que le paquebot français La Moselle. Enfin, à 21 h, le paquebot français Le Formose arrive sur les lieux et met immédiatement à l'eau huit canots de sauvetage.
Les marins du Formose balayent sans relâche la surface de l'eau avec leurs lampes et sauvent de nombreuses personnes. L'un d'entre eux rapportera avoir vu de nombreux corps mutilés et avoir évité plusieurs requins. Mais on passera son témoignage sous silence, il ne faut pas effrayer le public.

SS Principessa Mafalda coule par la poupe à 21 h 45, emportant avec lui Simone Guli, son capitaine qui, conscient qui était responsable de n'avoir pas refusé de prendre la mer dans des conditions qu'il savait hasardeuses, n'a pas voulu quitter son navire.

Le nombre de navires accourus sur les lieux du naufrage aurait permis de sauver tout le monde, car le navire s'est maintenu à flots pendant plus de 4 heures. Pourtant, à l'aube, après avoir cherché encore durant de longues heures, il faut se rendre à l'évidence, il manque 271 passagers et 38 membres d'équipage, capitaine compris.

En dehors de la panique, responsable du grand nombre de victimes, il est à noter que la compagnie a joué avec le feu en n'arrêtant pas son navire au Cap Vert. Il est apparu au cours de l'enquête que ces avaries étaient déjà survenues avant le départ de Gênes et qu'une réparation avait été faite rapidement, pour ne pas trop retarder le départ qui a tout de même eu lieu avec 5 h de retard. Une bielle de rechange avait même été prévue. Le capitaine lui même avait un mauvais présage de ce voyage, qu'ils sentait devoir mal se finir et une partie significative de l'équipage n'avait pas embarqué.

Alors ? Que doit-on en déduire ?
C'est drôle cette histoire de portes étanches qui ne fonctionnent pas, ça semble récurrent dans les navires italiens.

Les chiffres sont ceux de l'étude sur les naufrages de l'Université d'Upsala.
Si vous pensez que je dois corriger quelque chose, envoyez un commentaire s'il vous plait. Merci.