Le matin du 6 décembre 1917, deux bateaux à vapeur, le cargo français Mont Blanc et le navire norvégien de secours Imo se sont heurtés dans le port d'Halifax. L’impact a enflammé les 2.900 tonnes d'explosifs, de munitions et de fûts d'une sorte de goudron inflammable que transportait le Mont Blanc, provoquant une tempête de feu et un raz de marée. La déflagration anéantit une grande partie de la ville et la ville de Richmond de l’autre côté du port. Plus de 1.600 personnes ont été tuées instantanément, on ne peut pas les dénombrer avec certitude car certains, seulement blessés, qui avaient survécu à l'explosion, ont été noyés par le raz de marée, un mur d'eau de 6 étages de hauteur. En tout, environ 2.000 morts, 9.000 blessés graves et 20.000 sinistrés. C'est la plus grave explosion de l'histoire après Hiroshima et Nagasaki.
Mais que s'est-il passé ?
1917, c'était la première guerre mondiale. Le port d'Halifax était protégé par des filets anti-sous-marins, pour éviter une possible attaque des Allemands. Le navire norvégien Imo n'avait pu faire le plein de charbon assez tôt pour sortir du port avant l'heure de levée des filets. Il était donc contraint de passer une nuit supplémentaire à Halifax et à appareiller au lever du jour le lendemain matin. Le navire français Mont Blanc, pour les mêmes raisons, devait attendre en dehors du port. Aucun sous-marin ne s'est présenté, malgré les inquiétudes du capitaine du Mont Blanc pour sa cargaison.
Au départ de New-York le 1er décembre 1917, l'équipage de 40 hommes du Mont-Blanc convoyait l'une des plus dangereuse cargaisons jamais transportées composée d'éléments inflammables hautement volatiles et d'explosifs sensibles. Le cargo appartenant à la Compagnie Générale Transatlantique était bourré jusqu'au pont supérieur de 2.300 tonnes d'acide picrique pour moitié liquide et l'autre moitié déshydraté, plus 200 tonnes de TNT, 10 tonnes d' ester de cellulose, un autre explosif et 35 tonnes de benzol. Le capitaine Le Medec avait été informé qu'il allait devoir traverser l'Atlantique en direction de le France avec cette incroyable quantité d'explosifs qui ne devaient surtout pas entrer en contact les uns avec les autres. Des cloisons de bois avaient été ajoutées dans les cales pour parer à tout incident qui aurait pu être fatal en cas de mélange sur une mer un peu grosse. Le capitaine Le Medec et son équipage savaient que leur bateau était une bombe prête à exploser au moindre faux mouvement.
En arrivant, 4 jours plus tard à Halifax, le capitaine Le Medec en montrant les papiers à l'officier responsable du port Terrence Freeman lui avait dit que tout était explosif à bord. Le Mont-Blanc n'avait pas été autorisé à partir en convoi avec les autres navires à destination de la France au départ de New-York à cause de sa faible vitesse qui aurait retardé le convoi. Il avait été envoyé à Halifax pour se joindre à un convoi moins rapide qu'il aurait pu suivre plus facilement.
Le soir du 5 décembre, le pilote Francis Mackey a embarqué sur le Mont-Blanc directement après avoir convoyé un des derniers navires sortant du port. Franis Mackey était un pilote avec 24 ans d'expérience et n'avait jamais connu d'incident au cours de sa vie professionnelle mais il ne connaissait que quelques mots de français. Le capitaine Le Medec ne parlant pas anglais, ils se comprenaient surtout par gestes.
C'est l'officier Terrence Freeman qui avait informé le pilote sur la nature de la cargaison du Mont-Blanc. Il n'avait toutefois pas autorisé le navire à entrer dans le port à cause de l'heure tardive.
Dès l'ouverture des filets, l'Imo s'est préparé à sortir par le chenal. Il était pressé de quitter le port, ayant déjà pris du retard. Dans le chenal, il s'est trouvé face au SS Clara qui se trouvait du mauvais côté. Il a alors dévié de sa route pour l'éviter mais s'est trouvé nez à nez avec le remorqueur Stella Maris qui rentrait dans le port au milieu du chenal dont le capitaine, Horatio Brannen, lui a ordonné de se mettre complètement à gauche pour le laisser passer. Dans le même temps, le Mont Blanc était entré dans le chenal et allait à la rencontre de l'Imo qui venait de repartir mais se trouvait complètement du mauvais côté du chenal. Selon les règles, le Mont Blanc était sur sa voie, le pilote, Francis Mackey, a donc ordonné à l'Imo de s'écarter. On ne bouge pas aussi facilement un navire de 131 m, non chargé, qui ne possède qu'une seule hélice, laquelle se trouvait presque en dehors de l'eau, car il n'avait pas encore rempli ses ballasts. Le capitaine Haakon From, ne peut rien faire. Il a été dit qu'il avait refusé de manœuvrer, cependant, l'enquête a montré qu'il avait tout tenté, envoyant le signal qu'il inversait ses machines. Malgré tout, les deux navires se sont abordés à vitesse réduite et les dommages étaient légers, mais des fûts de goudron inflammable se sont renversés et la manœuvre de l'IMO pour reculer a généré des étincelles qui ont mis le feu au pont du cargo français. Connaissant la nature de sa cargaison, le capitaine, en panique, a ordonné l'abandon du navire à l'équipage, qui ne s'est pas fait prier et a évacué le navire dans deux canots de sauvetage, laissant leur navire dérivant brûler. Le Mont Blanc explosa peu après 9h dans une boule de feu qui s'éleva à 6,5 km de hauteur.
D'innombrables maisons furent soufflées en moins d'une seconde, ensevelissant les victimes sous des tonnes de gravats. Ceux dont les habitations avaient résisté furent blessés ou rendus aveugles par les éclats de verre des fenêtres. L'explosion et la dépression qui s'en suivit générèrent un raz de marée d'une hauteur de 6 étages, noyant ceux que l'explosion avait épargnés et emportant sans distinction morts et blessés.
Le Mont-Blanc fut réduit en miettes mais son équipage, qui avait fui le navire fut épargné. Les marins des autres navires présents au port qui, au lieu de se sauver et, dans l'ignorance de la nature de la cargaison, s'étaient au contraire précipité vers le cargo français pour tenter d'éteindre le feu, y compris ceux de l'Imo, qui transportait du matériel sanitaire belge, furent décimés. L'Imo fut balayé par le raz de marée, jeté comme un fétu de paille en dehors du port et presque tous à bord furent tués.
L'explosion avait détruit les usines, les entrepôts et fait exploser les chaudières, en route en décembre. La ville en ruine brûlait, empêchant les secours, arrivés de la ville voisine de faire leur travail. Sauver ceux qui pouvaient encore l'être était une course contre la montre. A cause du contexte, la première guerre mondiale, tout le monde croyait qu'il s'agissait d'une attaque de l'ennemi. Les soldats qui auraient pu être disponibles pour rejoindre les sauveteurs partirent vers l'extérieur pour parer à une deuxième éventuelle attaque. Il fallu plusieurs heures pour que l'origine du désastre soit connue. A ce moment là, tous les pompiers de la région, la croix-rouge américaine et des convois de ravitaillement de nourriture, de vêtements chauds et de couvertures convergent vers la ville sinistrée. Des navires militaires sont rapidement convertis en hôpitaux pour accueillir les blessés. On réquisitionne les enfants pour porter les messages d'un endroit à un autre et ils sont remarquablement efficaces.
Comble de malchance, le lendemain de l'explosion, le blizzard s'abat sur les ruines et les températures descendent en dessous de zéro. En quelques heures, tout est recouvert d'un manteau de 1,2 mètres de neige, rendant les conditions de sauvetage extrêmement difficile et pénalisant les sans-abri qui se voient privés de la possibilité de rejoindre les villes voisines autrement qu'à pieds ou en traîneau pour y trouver un accueil. Les convois de ravitaillement par voie terrestre s'arrêtent, y compris les trains, car la visibilité est nulle. L'évacuation de la zone de l'explosion se fait par la mer.
Une fois la situation d'urgence terminée, les blessés guéris et relogés et les morts enterrés, une enquête a été initiée pour comprendre comment un accident avec d'aussi terribles conséquences avait pu se produire. Qui devait-on blâmer ? Y avait-il un seul responsable ?
Un accident n'a jamais une seul cause et dans ce cas précis, on constate que c'est l'ajout de plusieurs petits incidents qui a conduit à cette catastrophe historique.
Il pourrait sembler logique que le capitaine du navire norvégien soit parmi les coupables, car l'Imo n'était pas à la bonne place dans le chenal et il a été dit qu'il avait refusé de céder le passage au Mont-Blanc alors que le capitaine de ce dernier lui avait enjoint de dégager le passage. Les deux navires étaient barrés par des pilotes du port. Celui qui pilotait le Mont-Blanc a tenté d'intimider l'équipage du navire norvégien en se dirigeant droit dessus sans se dévier. L'Imo avait réduit sa vitesse et mis la barre à tribord au moment où le Mont-Blanc, plus court, a viré vers le même côté du chenal pour finalement tenter de passer à côté de l'Imo, qui venait d'inverser ses moteurs pour stopper son avancée. Muni d'une seule hélice, l'Imo s'est alors mis en travers, percutant légèrement à vitesse très réduite le pont supérieur du Mont-Blanc où étaient entreposés des fûts de pétrole hautement inflammables. Malgré tout, le juge, Justice Arthur Drysdale a estimé que l'équipage du Mont-Blanc n'avait pas respecté certaines règles. Sachant que la quasi totalité de l'équipage de l'Imo avait été tué dans l'explosion, la plupart d'entre eux en tentant de maîtriser l'incendie du Mont-Blanc, la colère populaire se dirigeait vers l'équipage du Mont-Blanc qui avaient préféré sauver leur propre vie que d'éviter le désastre au moment où le feu démarrait.
Trois personnes ont été poursuivies pour homicide :
- Aimé Le Médec, capitaine du Mont-Blanc,
- Francis Mac Key, pilote du port, à la barre du Mont-Blanc,
- Frederick Evans Wyatt, responsable en chef de la capitainerie du port.
Aucun des trois ne fut convoqué au tribunal car l'enquête n'a pas pu apporter de preuves. le Mont-Blanc avait été vaporisé, il n'en restait quasiment que de petites pièces éparpillées sur des kilomètres carrés.
En 1919, la cour suprême du Canada a déterminé que les responsabilités étaient partagées. Cette catastrophe a entraîné une modification des règles portuaires et une réglementation plus sévère du transit et du stockage des matières dangereuses. En ce qui concerne les secours, les activités de la Croix-Rouge ont été étendues aux dommages civils et non seulement aux conséquences des guerres et, compte tenu du grand nombre de blessures aux yeux lors de l'événement, l'Institut National Canadien pour les Aveugles a été créé.
Enfin, il faut souligner l'héroïsme de Patrick Vincent Coleman, dont le dernier acte a sauvé plusieurs centaines de vies. Il travaillait comme aiguilleur à la compagnie des chemins de fer canadiens. Ce jour là, il se trouvait tout près du quai auprès duquel le Mont-Blanc a explosé. Tandis que ses collègues, avertis par l'un des marins du danger d'explosion courraient aussi loin que possible, Patrick s'est précipité dans le bureau du télégraphe et envoya ce dernier message à la gare précédente sur la ligne : "retenez le train, un navire chargé d'explosifs est en feu près du quai et va exploser. Certainement mon dernier message, au revoir les gars !" Le train était l'express de nuit, avec environ 300 passagers à bord, qui aurait du se trouver à proximité immédiate du lieu de l'explosion à l'heure dite. Son message envoyé, Patrick n'eut pas le temps de se mettre à l'abri et fut tué dans l'explosion. Considéré comme un héros, le télégraphe d'où il avait envoyé le message et sa montre gousset, dont les aiguilles ont été arrachées, sont conservées dans le musée consacré à l'événement.