mardi 29 novembre 2016

Steuben, le naufrage

Le 9 Février, juste après 22 heures, heure de Moscou.
Le Steuben, chargé de milliers de blessés et de réfugiés fait route de Pillau vers l'ouest de l'Allemagne. Il vient de doubler le lieu du naufrage du Wilhelm Gustloff.



Le commandant du sous-marin soviétique S-13, Alexandre Marinesko, a vu la lueur des cheminées des navires escortant le Steuben. D'après les alliés, il pensait qu'ils escortaient un croiseur. Il a commencé à suivre sa cible. Il a dû se mettre en plongée lorsque l'un des navires d'escorte s'est brusquement dirigé vers le S-13. Une heure plus tard, il a pu reprendre sa poursuite silencieuse derrière les navires. A 2h50, il décide d'attaquer et ordonne de lancer deux torpilles des tubes arrière.

Un passager qui avait déjà survécu à un torpillage précédent a immédiatement su ce qui arrivait, à cause du bruit caractéristique que fait une torpille. La torpille avait frappé la proue, tuant la plupart des membres de l'équipage dans leurs quartiers.

"J'ai couru vers le pont. Sur mon chemin, j'entendais des coups qui résonnaient dans les couloirs. Les soldats blessés qui avaient gardé leurs armes et tentaient de se suicider. Quand je suis arrivé sur le pont, le bateau avait déjà pris de la gîte. Beaucoup de gens ont été pris de panique et ont sauté directement dans la mer, il faisait très froid et ils n'ont pas vécu longtemps. J'ai réussi à monter dans un radeau." 

Gerhard Dopke, un soldat qui ne marchait pas et avait les deux mains bandées, avait rampé à l'aide des coudes dans les escaliers après avoir entendu les coups de feu. Il a atteint le pont et rampait encore quand une grande vague l'a balayé dans la mer. La chance était de son côté. un radeau vide est allé à la mer avec lui et il est tombé dessus. Ensuite, d'autres sont montés par dessus lui et il a perdu connaissance. Il a survécu au naufrage.

Deux jeunes filles, à qui on avait dit de ne pas s'inquiéter parce qu'il ce s'agissait que d'une collision entre deux navires, ont préféré aller sur le pont alors que le navire penchait réellement beaucoup. Elles ont descendu l'échelle de corde le long de la coque jusqu'à un radeau. Elle y étaient à peine que le Steuben a basculé dans la mer, engloutissant tous ceux qui y étaient restés avec lui.

Il s'était écoulé 20 minutes depuis la frappe de la torpille et le naufrage. Selon les Russes, 659 personnes auraient survécu. Environ 300 selon les documents du torpilleur T-196 qui a recueilli les naufragés. Il y a entre 3.500 et 4.000 victimes, soit trois fois le nombre qui ont péri lors du naufrage du Titanic 33 ans plus tôt.



Du München au Steuben

Après la première guerre mondiale, l'Allemagne veut reprendre pied dans le service transatlantique. A cet effet, des navires doivent être construits à nouveau car la guerre a détruit la majeure partie de la flotte marchande allemande.

Seulement quatre ans après la guerre, dans le chantier naval Vulcan AG à Stettin, les sister-ships "München" et "Stuttgart" sont mis en œuvre. Par rapport à ceux de l'avant-guerre, ils sont plutôt petits et modestes mais ils sont modernes et exceptionnellement bien équipés. Le premier est mis en service par la compagnie maritime allemande Lloyd du Nord à Bremen en 1923 sous le nom de "München".



le  voyage inaugural, en Juin 1923, va de Bremerhaven à New York.  Après 1925, il est parfois utilisé pour des voyages de loisirs dans les îles de l'Atlantique. En 1930, le navire qui comprend trois classes, navigue sur la route de l'Atlantique Nord lorsqu'il rencontre sa première catastrophe le 11 Février, 1930, pendant le déchargement de la cargaison au port de New York. Un incendie se déclare à bord. Le service d'incendie est impuissant et pendant 22 heures des flammes font rage dans la coque brûlante. Le navire, qui menaçait de chavirer, n'est retenu que par le quai. Dans les flammes, un électricien et un pompier trouvent la mort. La cause de l'incendie reste inconnue.

Le "München" est presque complètement brûlé. En fait, le navire semble perdu mais ses exploitants lui font retraverser l'Atlantique et le ramènent à Bremen. Là, le navire est réparé et redécoré avec un tout nouvel intérieur. En Janvier 1931, il rentre de nouveau au service de la compagnie maritime. Seuls les initiés savent que derrière ce magnifique paquebot, il y a la première construction d'après-guerre de Lloyd. Les marins sont superstitieux. Par conséquent, le navire reçoit un nouveau nom de "General von Steuben", nommé d'après Friedrich von Steuben, un Allemand héros de la guerre d'Indépendance américaine, très populaire aux États Unis. Traditionnellement, les navires Lloyd portaient des noms de villes. La compagnie maritime va consciemment changer sa politique pour mettre en avant ce signe d'amitié germano-américaine.

Le navire ressuscité n'est plus que rarement utilisé sur la route transatlantique. Les vastes et luxueux paquebots "Bremen", "Europa" et "Columbus", aux nouvelles normes, font maintenant le service entre l'Allemagne et les États-Unis. Alors que le General von Steuben entre Bremerhaven et New York met en moyenne neuf jours et demi pour faire la traversée, le Bremen n'en met que cinq. Désormais, le General von Steuben est utilisé principalement pour les voyages de loisirs et les croisières classiques polaires au Cap Nord en Norvège ainsi qu'en Méditerranée.

En 1938, compte tenu des relations qui se sont tendues avec les États-Unis, son nom est raccourci. "Steuben" est le nouveau nom donné au navire.

Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale met tout le trafic civil de transport maritime à l'arrêt. Le Steuben sera envoyé à Kiel, saisi par la Marine Allemande. Il cesse de naviguer.

En Août 1944, il reprend du service comme navire-hôpital auxiliaire. Le Steuben transporte les blessés du golfe de Riga vers les ports de la Baltique occidentale. Avec l'avancée de l'Armée rouge, l'évacuation de la population est-allemande se fait par la mer. Beaucoup doivent leur retour dans le Schleswig-Holstein au Steuben.

le 9 février 1945, il quitte le port de Pillau en direction de Kiel avec 4267 personnes à bord dont :
- 2.800 soldats blessés alités.
- 270 médecins, infirmières et auxiliaires de médecine.
- 12 puéricultrices.
- un peu plus de 800 réfugiés civils qui fuyaient l'armée rouge.
- 160 marins de la marine marchande.
- 121 membres d'équipage marins, opérateurs radio, machinistes et personnel de passerelle.
- et une centaine de soldats démobilisés.

Arrivé près de Stopelbanken en Prusse Orientale, le navire a été repéré par le sous-marin S-13, qui avait coulé le Wilhelm Gustloff quelques jours plus tôt.

vendredi 11 novembre 2016

Wilhelm Gustloff, le naufrage

Pour ce navire, il ne m'a pas été possible de passer sous silence le terrible drame humain qui s'est déroulé dans les eaux de la Baltique. L'aspect technique est passé au second plan.

Nous sommes en janvier 1945 au nord de l'Allemagne dont les villes sont pilonnées par les alliés. Les civils ne savent plus où fuir, ils périssent par milliers déchiquetés et brûlés par les bombes incendiaires lâchées par l'ennemi ou périssent ensevelis dans les abris souterrains. Les survivants partent vers le seul endroit possible, le nord et les rivages de la mer Baltique, car de l'est déferlent les troupes soviétiques avides de se venger de l'invasion nazi.

Ils sont dans le port de Gotenhafen, par dizaines de milliers, en particulier des femmes et des enfants, dans l'espoir d'embarquer sur l'un des navires qui partent vers Kiel, à l'ouest. Le Wilhelm Gustloff est à quai. Il a servi d'hôpital jusqu'à présent et il reste à bord des soldats mutilés et gravement blessés et le personnel soignant, ainsi que des auxiliaires navales féminines. La capacité normale du Wilhelm Gustloff est de 1.880 passagers.

Les journaux étrangers, les seuls à paraître, décrivent les atrocités que les Bolchéviks font subir aux femmes, aux enfants et aux vieillards. Viols, tortures, mutilations, tout est fait pour entretenir la panique des survivants des bombardements de terreur. Pour faire face, l'opération « Hannibal », organisée par les Allemands pour sauver ses civils, va évacuer plus de 2 millions de sinistrés de guerre.

C'est dans ce contexte que 160.000 réfugiés attendent pour embarquer. Ils n'auront pas tous une place.
Seules les femmes avec des enfants peuvent monter à bord. Toute la place disponible est utilisée. Il y a huit personnes par cabine, la piscine, vide, est occupée par 273 jeunes filles auxiliaires navales.

Sur les 22 embarcations de sauvetage d'origine, 10 sont manquantes. Le navire n'a pas navigué depuis 4 années. 18 petits bateaux sont hissés sur les toits, mais c'est une précaution inutile. Lorsque le Wilhelm Gustloff prend la mer, le 31 janvier 1945, il y a plus de 10.000 évacués à bord. La première tâche de l'équipage est de distribuer les gilets de sauvetage, qu'il est demandé de garder sur soi jusqu'à l'arrivée, par précaution.

Le Wilhelm Gustloff aurait du être escorté, mais sur les 4 navires qui devaient l'accompagner, un seul est en état de le faire, le torpilleur Löwe.

Après une heure et demie de route, le Wilhelm Gustloff emprunte un couloir maritime sans mines. Peu après 18 heures, le navire reçoit un message annonçant qu'un convoi de dragueurs se rapproche dans la direction opposée. Pour éviter une collision, les feux de navigation vert et rouge sont allumés malgré les réticences du capitaine Petersen. Sur les ponts, des marins s'activent pour garder les bossoirs de chaloupes hors du givre qui ne cesse de se déposer, il fait -18°.

A l'intérieur du navire, la proximité fait monter la chaleur et beaucoup ont retiré leurs gilets de sauvetages, ignorant les ordres de Petersen. Des femmes enceintes sont prises en charge par les infirmières, l'une d'elle est prête à accoucher.

Pendant ce temps, le capitaine de sous-marin Alexandre Marinesko entre dans le golfe de Danzig sans en informer son commandement. Le S-13 patrouillait plus au large et s'est rapproché. Marinesko est sous le coup d'une future comparution en cour martiale. Coupable d'indiscrétions et fréquemment alcoolisé, il risque la pendaison. Il cherche une opportunité pour éviter cette issue.

A bord du torpilleur d'escorte, l'équipement de détection des sous-marins est gelé. Nul ne se doute du danger. Marinesko, dans son périscope voit l'énorme silhouette du Wilhelm Gustloff. Il sent que sa chance peut tourner.

A la radio, un discours du Fürher se termine. Il est un peu plus de 21 heures et c'est le moment où Marinesko donne l'ordre d'envoyer les 4 torpilles prêtes dans les tubes.

Des torpilles qui portent des noms : Pour la patrie, pour le peuple soviétique, pour Leningrad et pour Staline.

A 21h16, la première torpille frappe les compartiments étanches 2 et 3, ce sont les quartiers des marins. Les portes étanches sont fermées, si des marins ont survécu à l'explosion, ils sont condamnés.

Moins d'une minute plus tard, la seconde torpille frappe le navire entre les compartiments 4 et 5, au niveau de la piscine. L'explosion de la torpille transforme les somptueuses décorations de verre peint en autant de lames tranchantes qui vont lacérer les corps des jeunes filles auxilliaires navales. 370 parmi 373 périront de cette manière atroce.

La troisième torpille va sceller le destin du Wilhelm Gustloff. Elle frappe la salle des machines, arrêtant d'un coup les moteurs et la lumière dans les ponts.

La quatrième s'enraye et doit être désamorcée. C'est celle de Staline.

Les voies d'eau sont énormes, une majorité des compartiments étanches est touchée. Il n'y a aucune chance de sauver le navire. Il faut évacuer. Le capitaine va tenter en vain d'appeler au calme. L'eau entre par les trous béants de la coque et c'est la ruée vers les ponts supérieurs. Il est inutile de rappeler l'ordre « les femmes et les enfants d'abord » Il y a plus de 5.000 enfants sur le navire et seulement un millier d'hommes dont l'équipage, les personnes restantes sont des femmes, soit environ 4.500.
Le navire commence à pencher du côté bâbord. Ces femmes ne parviennent pas à descendre les chaloupes de sauvetages. Les marins qui savaient le faire ont été tués par la première torpille. Elles tentent d'arracher la glace qui paralyse les câbles avec leurs ongles. Les chaloupes se mettent en travers et tombent dans l'eau glacée avec leurs occupants. Ceux qui ont eu des places dans des chaloupes défendent chèrement leurs places. Beaucoup y succomberont au froid.
Le Wilhelm Gustloff s'enfonce rapidement. Il coule en 50 minutes, des milliers de personnes encore prisonnières de ses flancs. Des centaines de personnes sont jetées à l'eau.

Le torpilleur Löwe recueille un peu plus de 400 personnes, un autre torpilleur arrivé en renforts près de 500, les dragueurs qui ont fait demi-tour arrivent à en récupérer quelques dizaines, mais les cargos qui se sont portés au secours après avoir entendu l'appel de détresse ne repêchent que des cadavres pris par le froid dans leur gilet de sauvetage. Les plus petits corps flottent à l'envers, passés à travers les brassières mal ajustées car faites pour des plus grands. Qui aurait pu imaginer que si petits, ils auraient à subir ces épreuves ?

Il y aura 996 survivants. Le dernier est un nourrisson découvert enveloppé dans une couverture au fond d'une chaloupe dans laquelle tous étaient morts de froid.

Une étude britannique menée récemment a établi que 10.614 personnes se trouvaient à bord. Avec ses 9.618 morts ou disparus, la catastrophe maritime du Wilhelm Gustloff est de loin la plus meurtrière de tous les temps.